Quand l’usage du 49-3 suscite les critiques du Conseil de l’Europe sur l’exercice de la démocratie en France: les coulisses d’une saisine

Publié le 14 juin 2023, par Emmanuel Fernandes

Assemblée

​​​​​​Nous sommes le mercredi 26 avril 2023. Au cœur du Palais de l’Europe à Strasbourg, siège du Conseil de l’Europe, une réunion va se tenir dans le cadre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Cette réunion concerne les membres de la Commission de suivi du respect des obligations et engagements par les États membres du Conseil de l’Europe. À l’ordre du jour, un point attire mon attention et celle de ma collègue Anne Stambach-Terrenoir : « le respect par la France des obligations découlant de l’adhésion au Conseil de l’Europe ». Anne et moi organisons donc une réunion préparatoire à cette commission, pour sensibiliser nos collègues membres et nous assurer de nos positions communes vis-à-vis de ce sujet.​​​​

Éléments de contexte

Revenons sur quelques points : c’est quoi le Conseil de l’Europe ? C’est quoi l’APCE ?

Le Conseil de l’Europe (à ne pas confondre avec l’Union européenne et son Conseil européen), fondé en 1949, est une organisation internationale basée à Strasbourg qui réunit 46 États membres, tous signataires de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CSDHLF), communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme. Elle a pour but de protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales en permettant un contrôle judiciaire du respect de ces droits individuels. La Cour européenne des droits de l’Homme en contrôle l’application.​​​​​​​

Quant à l’APCE (Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe), elle constitue l’organe délibérant du Conseil de l’Europe. Elle est composée de députés élus des parlements nationaux des États membres. L’APCE est donc une assemblée qui réunit différents groupes (socialistes-démocrates-verts, droite européenne, conservateurs / extrême droite, centristes / libéraux et gauche unitaire européenne). J’ai l’honneur d’être membre de la délégation française dans cette assemblée, au sein du groupe GUE (Gauche Unitaire Européenne) en tant que député insoumis, aux côtés notamment d’Anne Stambach-Terrenoir, présente avec moi à Strasbourg lors de la session d’avril.

Au sein de l’APCE, je suis également membre de la Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées​​​​​​​. Parmi les autres commissions, il y a celle qui nous intéresse tout particulièrement : la commission de suivi du respect des obligations et engagements par les États membres du Conseil de l’Europe (aussi appelée commission de suivi). Cette commission est chargée de veiller au respect des obligations contractées par les États membres au terme du Statut du Conseil de l’Europe (qui établit le fonctionnement du Conseil), la CEDH et de toutes les autres conventions de l’Organisation auxquelles les États membres sont parties.

Les coulisses 

Ainsi, ce mercredi 26 avril se réunit la commission de suivi de l’APCE. Pour mener sa mission de scruter l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe et de s’assurer du respect de leurs engagements, elle peut initier des saisines, rédiger des rapports pour analyser et rendre compte du respect général des normes de la Convention. Cette commission a analysé la situation française, notamment concernant le processus législatif de la réforme des retraites, dans un rapport qui met en doute le respect des principes démocratiques les plus basiques (comme la séparation des pouvoirs). Pour étayer ses potentielles recommandations à venir en la matière, la commission de suivi a donc demandé à saisir la Commission de Venise à ce sujet.

La Commission de Venise est un organe consultatif du Conseil de l’Europe, dont le rôle est notamment de rendre des avis, lorsqu’elle est saisie, sur la compatibilité des constitutions ou des évolutions constitutionnelles, dans les États membres, avec le respect des principes démocratiques et de l’État de droit.

Ce 26 avril, la demande de saisine de la Commission de Venise par la commission de suivi a donc été votée par la majorité de ses membres. La mobilisation et la sensibilisation, par Anne Stambach-Terrenoir et moi-même, de nos collègues membres du groupe GUE qui siègent dans cette commission de suivi, ont donc portées leurs fruits.

La saisine porte sur deux points :

Les premiers constats des experts du Conseil de l’Europe consultés sur l’utilisation du 49.3 en France

Voilà donc où nous en sommes : les reculs démocratiques en France ont suscité l’attention toute particulière d’une institution internationale de promotion et de défense des droits fondamentaux telle que le Conseil de l’Europe, au point de mettre en question des vices conceptuels inhérents à la Constitution de la Vème République, comme l’article 49.3. Cette procédure revient à tordre le bras au pouvoir législatif : c’est un passage en force.

Suite à cette saisine, la  Commission de Venise (organe du Conseil de l’Europe) a rendu, aujourd’hui le 14 juin 2023, un avis intérimaire au sujet de l’article 49.3 de la Constitution. Dans cet avis, la Commission de Venise estime que le 49.3 “soulève des interrogations au regard des principes du pluralisme, de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté du législateur”. Cet article constitue une “ingérence significative de l’exécutif dans les pouvoirs et le rôle du pouvoir législatif”, observe la Commission.

Une nouvelle fois, une institution internationale, qui plus est celle qui est chargée de veiller à l’application des droits humains fondamentaux et au respect de la démocratie, dénonce les méthodes de gouvernement de la macronie. Il est temps que cessent ces pratiques autoritaires et, on peut donc l’affirmer, anti-démocratiques. La minorité présidentielle doit enfin entendre raison. À terme, nous changerons de fond en comble la Constitution pour garantir qu’une minorité ne puisse plus décider contre le grand nombre. Dans l’intervalle, nous continuerons de mobiliser l’ensemble des leviers et des organes institutionnels à notre disposition pour dénoncer et mettre en lumière le fait qu’en France, aujourd’hui, la démocratie est gravement attaquée par la macronie. 

Vous retrouverez dans ce lien l’avis en ligne sur la page de la Commission de Venise.

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